Éducation Nationale
Le défi des élèves-mères lors du BEPC 2025 à Lakota

Education Nationale, Une dizaine de filles-mères ont relevé un défi singulier cette année à Lakota, à savoir composer les épreuves écrites du Brevet d’études du premier cycle (BEPC), du 26 au 30 mai 2025, tout en prenant soin de leurs nourrissons. Ces jeunes mères ont dû conjuguer la concentration exigée par les examens et la gestion de leurs bébés, qu’elles ont emmenés avec elles dans les centres de composition. Reportage
Des bébés dans les centres de composition
Le mardi 27 mai, au centre de composition du Cours secondaire Lébé (CSL), les vendeuses de beignets et de jus, postées à l’entrée, ont été aperçues en train de calmer un nourrisson en pleurs. Ce bébé, confié par la candidate B. A., âgée de 18 ans, était à leurs soins pendant que la jeune fille composait. « C’est mon enfant de six mois », a confirmé B. A., précisant que faute de solution, elle a dû s’en remettre à ces vendeuses pour surveiller son bébé.
Au collège Ahianot, dame Ogou Yolande, la quarantaine, attendait devant les portails du centre avec un nourrisson de deux semaines, celui de sa fille, G. L. E., candidate elle aussi. « J’ai demandé pardon aux responsables du centre pour permettre à ma fille d’allaiter son bébé chaque fois qu’elle finit une épreuve. Hier lundi, le bébé n’a bu que de l’eau, car nous étions restés à la maison », a-t-elle expliqué.
D’autres candidates ont, elles aussi, amené leurs enfants, confiés à un parent ou une connaissance, dans l’enceinte ou aux abords des centres. L. O. F., candidate au collège Ahianot, a confié son bébé de cinq mois aux vendeuses d’aliments vendredi, faute de la présence de sa sœur de 13 ans. Quant à d’autres, elles ont laissé leurs enfants à la maison, faute de soutien logistique.
Un soutien familial limité
La plupart de ces élèves-mères rencontrées ont admis que le soutien familial, bien qu’existant, reste limité. Les parents, souvent déçus par cette maternité précoce, rejettent parfois les charges sur les pères des enfants, quand ils sont connus. K. A. R., 17 ans, candidate au collège Le Renouveau. « Je suis obligé de donner à téter à mon bébé ici au centre, car les moyens financiers manquent pour l’allaitement artificiel. Le peu de soutien que je reçois vient de mes parents paysans de Gragba-Dagolilié ».
Le vendredi 30 mai, devant le CSL, Godja Eudoxie, 16 ans, portait au dos un nourrisson d’un mois, appartenant à sa sœur candidate. « Nous sommes venues du village de Gogné, et nous logeons à Lakota depuis deux semaines. Payer le taxi matin et soir pour trois personnes coûte très cher », a-t-elle relaté. Selon elle, la préparation des épreuves a été particulièrement éprouvante pour sa sœur, avec un bébé qui pleure sans cesse.
Plusieurs élèves-mères ont souligné que, pour leurs familles, la grossesse précoce est perçue comme un obstacle à la réussite scolaire, réduisant ainsi leur soutien.
Une situation stressante et des jugements sociaux
La maternité ajoute un fardeau de plus à la fatigue physique et aux révisions pour ces candidates. L. O. F. a noté que la fatigue et la pression sociale pèsent sur sa concentration. K. A. R. a évoqué les commentaires désobligeants de certains camarades, qui l’ont qualifiée d’irresponsable. Pour B. A., le stress est surtout psychologique. « Je suis beaucoup stressée quand je pense à tous ces efforts à faire. Je suis épuisée, surtout moralement, entre les révisions et les soins du bébé. Oui, le regard de mes camarades de classe me déstabilise trop souvent, augmentant mon stress », a-t-elle admis.
Résilience et espoirs d’avenir
Malgré tout, ces jeunes mères font preuve d’une résilience remarquable. B. A. a indiqué qu’elle révisait souvent la nuit, après avoir pris soin de son enfant. « Ces journées sont chargées, mais j’ai toujours trouvé l’énergie pour étudier tard le soir », a-t-elle confié. Ces élèves-mères veulent montrer qu’elles peuvent réussir malgré les obstacles. Pour elles, décrocher le BEPC, c’est briser les stéréotypes et prouver qu’elles ne sont pas condamnées à l’échec.
La candidate G. L. E. a affirmé que cette réussite renforcerait sa confiance et lui permettrait de se sentir valorisée. K. A. R., quant à elle, souhaite prouver que sa maternité précoce n’est pas la fin de son parcours scolaire. Toutes espèrent, grâce à l’éducation, offrir une vie meilleure à leur enfant.
Un phénomène préoccupant
Ces témoignages soulignent une problématique persistante : les grossesses précoces en milieu scolaire. Lors de l’année scolaire 2021-2022, la Côte d’Ivoire a enregistré 6681 cas de grossesses en cours de scolarité, dont 260 cas pour la direction régionale de l’Education et de l’Alphabétisation (DRENA) de Divo, à laquelle appartient Lakota. L’année scolaire 2023-2024 a connu 4137 cas, soit une hausse de 15,3 %.
Face à ce fléau, des campagnes de sensibilisation ont été initiées. À Lakota, l’Agence ivoirienne de marketing social (AIMASS) et la Direction de la mutualité et des œuvres sociales en milieu scolaire (DMOSS) ont ainsi lancé, en janvier, une campagne de prévention des grossesses non désirées à l’intention des élèves.
Ces jeunes filles-mères, malgré les obstacles, rappellent par leur détermination que la maternité n’est pas synonyme d’abandon scolaire. Leur combat est une véritable leçon de résilience et un appel à un accompagnement plus soutenu pour qu’aucune grossesse précoce ne soit un frein à l’avenir d’une jeune élève.
Source : AIP