Santé
Quartiers populaires d’Abidjan : Des structures médicales informelles en première ligne des soins

L’odeur âcre du désinfectant flotte dans la pièce étroite, mêlée aux gémissements étouffés d’une adolescente fiévreuse. Une lumière blafarde tombe d’une ampoule nue pendue au plafond. Ici, à Yopougon-Agbayaté, au fond d’une ruelle poussiéreuse, la clinique « Éternel » ne paie pas de mine. Mais pour des dizaines d’habitants sans couverture maladie, elle représente le dernier espoir de guérir – ou simplement de survivre.
Dans cette « clinique boutique » sans appareil sophistiqué, sans médecin diplômé ni dossier médical informatisé, c’est KD, une infirmière expérimentée, qui tient tête à la douleur et à la misère. Chaque jour, elle reçoit des patients qu’aucun hôpital ne pourrait accueillir à ce prix.
Angela Kassi, 17 ans, domestique, y a reçu sa première injection contre le paludisme. « Elle avait 40 degrés de fièvre, elle tremblait », murmure Coulibaly Adjara, sa patronne. Le traitement a coûté 7 000 FCFA, une somme modeste… mais parfois trop lourde pour ceux qui n’ont rien.
Un recours pour les plus vulnérables
La clinique « Éternel » accueille en moyenne cinq patients par jour. Certains arrivent démunis, demandant à être soignés sans pouvoir payer.
« Un homme est venu, plié de douleur à cause de coliques, sans argent. Je lui ai donné deux injections gratuitement. Il allait beaucoup mieux après », raconte KD. Elle se souvient aussi d’une adolescente mordue par un serpent. Les soins d’urgence prodigués sur place ont permis de stabiliser la situation avant un transfert vers un centre communautaire.
Ces cliniques de quartier populaire, à Abidjan bien que précaires, jouent un rôle essentiel dans l’accès aux soins des populations défavorisées. Elles pallient ainsi les lacunes du système de santé public, tout en faisant face à des moyens limités et à une demande croissante.
Non loin de là, à Yopougon-Gare, la « clinique Pisamette », adossée à la paroisse Saint-Joseph-Charpentier, est soutenue par la Caritas. Elle prend en charge de nombreux cas sociaux.
« Nous suivons gratuitement des accidentés sortis des CHU ou en convalescence à domicile », confie BA, aide-soignante.
Ces structures, bien que non agréées, remplissent une mission vitale. Elles compensent les insuffisances du système public et offrent une réponse concrète, rapide, et humaine aux besoins sanitaires des quartiers populaires.
Une médecine de survie en conditions précaires
Les « cliniques boutiques » opèrent dans une extrême précarité. Le coût moyen d’une consultation varie entre 1 000 et 2 000 FCFA, insuffisant pour garantir un fonctionnement durable. Les stocks de médicaments sont aléatoires.
« Les pharmacies exigent des ordonnances et des reçus. Mais obtenir l’agrément de la Nouvelle pharmacie de la santé publique est long et complexe. Pour éviter les ruptures, nous passons par des délégués médicaux », explique un gestionnaire de clinique à Yopougon-Andokoi.
Le matériel médical est souvent vétuste : tensiomètres défectueux, stéthoscopes usagés, absence d’appareils de diagnostic. Les locaux sont exigus, mal ventilés, parfois insalubres.
Les coupures d’électricité et les pénuries d’eau compromettent l’hygiène et la sécurité des soins.
À cela s’ajoute un vide juridique préoccupant. En l’absence de reconnaissance officielle ou de subvention publique, ces cliniques restent en marge du système sanitaire ivoirien, opérant dans l’illégalité malgré leur utilité sociale.
L’État face au défi de la régulation
Selon la cartographie des établissements sanitaires privés (ESPr) réalisée par la direction des Etablissements privés et des Professions sanitaires (DEPPS) en 2021, 92 % des structures privées exercent sans autorisation, alors que le privé représente 40 % de l’offre de soins en Côte d’Ivoire.
Pour assainir le secteur, le ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle a lancé en octobre 2022 l’« Opération Zéro clinique illégale d’ici 2025 », sous la supervision de la DEPPS. L’objectif de l’oépartion est de régulariser les établissements informels, démanteler les réseaux clandestins et renforcer les contrôles. La sous-direction de la Réglementation et du Contrôle des établissements sanitaires privés (S/DRESP) pilote cette initiative, qui prévoit aussi l’ouverture d’un guichet unique pour les demandes d’agrément.
Mais sur le terrain, les effets restent limités. Pour de nombreuses structures informelles, les démarches sont jugées longues, coûteuses ou inaccessibles.
Le rôle salutaire des ONG
Pour soulager les populations démunies, plusieurs ONG interviennent aux côtés de ces structures sanitaires informelles.
À Bingerville, l’ONG Pentecost Aids Mission Côte d’Ivoire (PANMCI) œuvre depuis 2011 avec son programme « Compassion pour la Côte d’Ivoire ». Chirurgie réparatrice, gynécologie, pédiatrie, ophtalmologie sont, entre autres, les interventions ciblent des pathologies lourdes.
« Nous faisons de la médecine de proximité là où l’urgence est criante », affirme le Dr Tiémélé, responsable des opérations.
En 2021, près de 300 patients ont été pris en charge en une semaine, grâce à 30 bénévoles. Fibromes, tumeurs, malformations congénitales ou hernies ont pu être opérés sans frais médicaux.
De son côté, l’ONG Vie sans Cancer lutte contre le diabète et l’hypertension dans les quartiers défavorisés d’Abidjan. Dépistages gratuits, campagnes éducatives et formation du personnel communautaire composent son plan d’action.
« L’urbanisation, le stress, les habitudes alimentaires favorisent ces maladies chroniques. Nous intervenons là où l’État ne va pas », souligne la présidente de l’organisation, Mme N’Joré.
Une réponse populaire à une urgence nationale
Malgré l’irrégularité de leur statut, les cliniques de quartier restent en première ligne de la santé urbaine informelle. Leur rôle, à la frontière entre humanitaire et système D, soulève une question cruciale : comment intégrer cette réalité dans une politique publique plus inclusive et pragmatique ?
En attendant des réponses structurelles, ces structures improvisées continuent de soigner, au quotidien, des milliers de vies que le système officiel laisse parfois de côté.
Source : AIP